Interview d'Imbert Imbert

Le 16 juin 2007, à la médiathèque Saint-Fargeau, Paris par Nathalie et RzL (pour chanson-française.net).



- Imbert-Imbert, pourquoi, un seul, ça ne suffisait pas ?

Mathias : (rires) si, ça suffisait, mais au départ ça vient de “Lolita”, ce bouquin de Nabokov, dont le héros s’appelle Humbert-Humbert ; il est amoureux d’une trop jeune fille pour lui.
Donc voilà, au début, c’est venu de cette histoire... j’ai trouvé que ça collait bien avec mon envie de ne pas faire que plaisir aux gens.
Parce que ce bouquin-là il est super provoc : aujourd’hui, je pense que la sortie d’un bouquin comme ça serait interdite... alors que c’est l’un des plus beaux existant.
Kubrick en avait fait un film, un second moins réussi a été refait il y a pas longtemps...
Voilà donc pourquoi Imbert-Imbert...

- Tu as participé à de nombreuses formations de divers courants musicaux (Jim Murple Memorial, Scenic Railway, Split, De Rien, pour ceux qu’on connaît).
Quel a été ton parcours musical et ta formation ?

Mathias : Alors, la formation, disons que j’ai passé toute mon enfance à suivre mon heure de piano hebdomadaire ; après, le reste du temps, j’en branlais pas une (pardon pour le gros mot). J’en ai donc fait de 7 ans à 12 ans, jusqu’à ce que ma prof en ait marre parce que je ne travaillais pas assez.
Et puis je me suis mis à la basse électrique, parce que je faisais un peu de rock avec des copains.
Je suis rentré au bout d’un an dans une grosse école de jazz à Montpellier, le JAM, ça a duré 4 ans, et à mes 15-16 ans, je suis rentré au conservatoire.
J’en ai profité pour arrêter l’école en seconde parce qu’en fait, j’avais toujours été un peu “branleur”. A ce moment-là, mes parents me prenaient vraiment pour un mec comme ça (branleur), donc il a fallu que je remette les pendules à l’heure, mais autant pour eux que pour moi...
Je me suis donc mis à beaucoup beaucoup travailler la contrebasse, notamment classique, mais je faisais aussi du jazz le soir dans des clubs, avec différents groupes.
Et puis je suis monté à Paris pour essayer de rentrer au CNSMDP (Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris). J’ai été pris à l’instrumental, pas à l’écrit.
Finalement, je suis très content de ne pas l’avoir fait, vu que six mois après, je rentrais dans Jim Murple Mémorial, avec qui je faisais mon premier statut (à Montpellier je me faisais un peu de croûte, mais pas assez pour en vivre).
En fait, quand je suis monté à Paris, j’ai joué pendant 6 mois avec Scénic Railway, et le tourneur de Jim Murple m’a repéré à Rennes, dans un bar, m’a fait passer une audition, et puis voilà, c’était parti pour un an avec eux.
Ensuite j’ai passé 2 mois tout seul, je commençais déjà à écrire un peu mes chansons à la guitare, batterie, que j’enregistrais chez moi.
Et puis là j’ai rencontré Thibaut (Derien), au Bar Jaune, rue Germain Pilon, un ancien bar assez sympathique.
C’est Christophe (Blanchet), le guitariste de La Blanche, qui nous a présenté. Thibaut venait d’apprendre que Felipe, le contrebassiste de De Rien se retirait du groupe. Quinze jours après, il m’appelait. Il n’y a pas eu d’audition avec eux, ça s’est fait comme ça.



- Quelles sont tes influences, et comment te situes-tu dans le monde de la chanson, alors que tu dis ne pas aimer ça ?

 Mathias : C’est vrai que je me situe assez mal dans la chanson...
J’aime pas la chanson ? oui, enfin mes parents écoutaient Brel, Brassens, Barbara, Ferré, et moi j’ai écouté Renaud de 5 à 11-12 ans, jusqu’à “putain de camion”. Donc si, la chanson ça a un sens pour moi.
Après je me suis mis à faire beaucoup de jazz, des musiques très compliquées, improvisées, des trucs un peu barrés, et je me suis mis à écrire des chansons... je ne sais pas trop pourquoi effectivement...
Aujourd’hui, je n’écoute pas de chanson du tout, ça m’intéresse vraiment très très peu. Moi j’aime bien quand les gens attachent de l’importance à la musique, ou quand au contraire l’importance est donnée au texte, comme quand on lit un livre ; je trouve que dans la chanson, on a tendance à délaisser autant la musique que le texte.
On fait quelques accords de guitare assez jolis, une petite mélodie assez jolie, et un petit texte, assez joli... ce qui fait que tout passe et est assez joli, mais que finalement, moi, ça ne me fait aucun effet.
Je préfère aller voir une peinture, même si je ne suis pas un spécialiste des peintures, vraiment, je préfère ça, voilà...

- Comment s’est fait ce choix plutôt singulier de faire de la scène en solo, juste contrebasse/voix ?

Mathias : Je jouais avec des gens qui voyaient la musique comme de la chanson, et moi je la voyais pas vraiment comme ça, j’avais envie de faire un truc beaucoup plus expérimental. En même temps, j’avais des textes, il fallait que je trouve un moyen de les mettre en valeur.
Ce qui est rigolo, c’est que 4 ans avant d’avoir fait Imbert-Imbert pour la première fois au Zèbre de Belleville, en avril 2005, j’avais enregistré un album à Montpellier, sans texte ; ça s’appelait “refus d'obtempérer”. C’était précisément dans l’esprit de ne faire que ce que je voulais, avec plein de contrebasses vachement barrée, parce qu’à côté de ça à Montpellier, je faisais du jazz, de la chanson, de la musette, pas mal de trucs différents, du classique dans des orchestres... et j’avais envie de faire un truc qui me corresponde vraiment. Donc ça c’était 4 ans avant Imbert-Imbert.
Et puis quand je me suis retrouvé en résidence avec De Rien, il était prévu que je fasse leur première partie au Zèbre, à la guitare, vu que j’avais enregistré des chansons comme ça chez moi. En même temps, je ne me voyais pas monter un trio comme on le voit partout dans la chanson, puisque ça n’était pas ça qui m’intéressait.
Le metteur en scène m’a alors demandé de lui montrer ce que j’allais faire... j’ai joué une chanson à la guitare, et il m’a pris la tête deux heures sur la façon dont il fallait que je dise le texte.
Le lendemain, on a rebossé avec De Rien toute la journée, et le soir il me dit : “fais-m’en une autre, comme ça on la travaille”... parce qu’apparemment, il trouvait qu’il y avait du boulot, et il n’avait pas tort d’ailleurs, parce que je suis quand même un piètre guitariste.
J’avais prévu de faire 7 chansons au Zèbre, dont une à la contrebasse (Gardien de nuit), que je lui fais alors écouter... Il revient la larme à l’oeil, et il me dit : “non, c’est bon, celle-là y’a rien à dire, vas-y, fais-en une autre à la guitare qu’on travaille, parce que celle-là, vraiment, je trouve ça très bien...”
Je lui en fais un autre à la guitare, et il me reprends la tête pendant deux heures...
Voilà, du coup, en 15 jours, j’ai tout monté à la contrebasse pour pouvoir le jouer au Zèbre.
C’est donc venu comme ça, un peu par hasard, un peu malgré moi.
Mais avec le travail que j’avais fait sur “Refus d’optempérer” 4 ans auparavant, et le stage de contrebasse solo que j’avais suivi avec Bruno Chevillon, un contrebassiste français incroyable que j’adore, et qui fait, lui, de la musique complètement improvisée, je m’étais rendu compte que la contrebasse pouvait se suffire à elle-même...et puis après, si j’avais des textes à mettre dessus, pourquoi pas... et voilà, ça a collé, finalement, on dirait...



-Tu viens de sortir un album, ou tu reprends tes morceaux de scène avec de nouvelles orchestrations : s’y ajoutent notamment batterie (Frédéric Jean), et guitare (Thibault Frisoni)...
- pourquoi ce choix d’étoffer tes morceaux par rapport à la scène ?
- comment c’est faite la rencontre et la composition avec ces musiciens ?

Mathias : Pourquoi ce choix ? parce qu’effectivement sur scène je trouve qu’il se passe un truc pour moi indéniable, alors que sur disque... j’ai réécouté le premier disque-démo que j’avais fait, et je trouvais qu’il lui manquait un peu de quelque chose, une peu d’épaisseur...sur un album, je trouve ça plus difficile le solo.
Frédéric Jean, je l’ai rencontré à Montpellier, on jouait déjà beaucoup de jazz ensemble, et puis on est monté à Paris en même temps. On a formé le trio Split et on était dans un travail de musique super libre, super barrée. D’ailleurs si tu réécoutes la batterie sur l’album, tu te rendras compte qu’il n’y en a pas beaucoup des batteurs qui jouent comme ça.
J’ai toujours vu que lui pour jouer sur mon disque, il y a un truc assez incroyable avec lui, musicalement parlant, on se comprend vraiment complètement.
Thibaut Frisoni, c’était un guitariste qui jouait avec Fred à Marseille, il a joué avec David Lafore, Bertrand Belin, lui je l’ai croisé avec une chanteuse qui s’appelle Ourida, et j’ai vu tout de suite un guitariste qui était super à l’aise.
Les trois morceaux à la guitare sont enregistrés complètement live, j’avais envie de les enregistrer “tout droit”, comme ça, en trio comme si la prise avait été faite dans un bar.
 
- Peut-on donc  imaginer les concerts à venir à 3 , ou garderas-tu la version couple fusionnel avec ta contrebasse ?

Mathias : Non, ça c’est inimaginable, il n’y aura pas de concert en trio, jamais sur scène, ça c’est sûr. En tout cas pas maintenant, et de toute façon ça ressemblera pas à un truc que tu auras déjà entendu...



- Ton album “Débat de boue” ne contient “que “ 10 titres, tout le monde s’accorde à dire qu’il est trop court, tu n’en as pas marre qu’on te le dise ? pourquoi par exemple ne pas avoir inclus ton superbe morceau au ukulélé ?

Mathias : Parce qu’il n’était pas fini, pas au point pour être mis sur un disque. Il n’y a peut-être que 10 titres, mais un nombre de contrebasses, je ne sais pas si tu peux imaginer.
Sur un morceau comme “Ma mort”, il y a 6 contrebasses, donc je dois enregistrer 6 fois le truc, je sais pas si tu vois le travail que c’est. Et comme je joue toutes les parties, ça veut dire qu’avant j’ai déjà une idée de ce que ça va donner. Je fais une prise, je garde ça, j’en fais une autre, finalement je me dis que je vais mélanger les deux, et au final ça prend 3 mois pour faire un morceau. C’est un travail énorme, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour que les morceaux soient les plus irréprochables possibles.
Donc voilà, pour un premier album, je m’en contente, et puis tant pis pour ceux qui n’en ont pas assez.
Après, il y aura certainement un autre album, avec le morceau dont tu parles dessus, de quoi se faire plaisir...

- Ton album est un bel objet en lui-même (digipack avec livret illustré). Quelle importance accordes-tu à celà ?

Mathias : J’y accorde surtout l’importance que ça soit Lola Carrère, ma meilleure amie, qui ait fait tous les dessins, et que ma mère ait fait la mise en page...j’y accorde une importance émotionnelle...et puis les dessins je les trouve superbes, on voit qu’elle me connait très bien.
Je préfère ça à un album qui ne serait que sur internet, donc sans livret.



- Quels sont tes “moteurs d’écriture” ? des lieux de prédilection ? nuits d’insomnies, ou terrasses de café ?

Mathias : Ca m’arrive de temps en temps d’avoir une idée de texte lumineuse, et je la garde pour plus tard. Et puis je me retrouve à faire une musique que je trouve lumineuse aussi... et puis tiens, puisqu’elles sont lumineuses toutes les deux, pourquoi ça ne collerait pas ?
Mes textes se basent par rapport à la construction des morceaux. Je me prend pas mal la tête avec ça, une cohérence par rapport à un album, voire à un projet comme Imbert-Imbert, je ne ferais pas du rap par exemple avec Imbert-Imbert, alors que j’aime beaucoup le rap...
Tout ça se fait dans un travail d’ensemble, vraiment. Je me retrouve à avoir une bribe de texte, et une bribe de musique, qui font qu’à la fin ça finit par être une chanson entière.
Ecrire, ça peut m’arriver dans les trains, au lit, pas trop aux terrasses des cafés : j’ai davantage envie de boire, aux terrasses des cafés.

- Certains trouvent les thèmes de tes chansons assez noirs, voire déprimants, d’autres pleins d’espoir et de vie, comment expliques-tu celà ?

Mathias : La vie, je crois que c’est intrinsèque à ce que je suis ; pour la noirceur, c’est plus une réflexion, un regard sur le monde.
J’arrive à vivre sans espoir mais avec plein de bonheur. Je conseille à tout le monde d’en faire autant...aujourd’hui c’est pas facile d’avoir de l’espoir, et en même temps faut bien trouver quelque chose pour se plaire dans ce monde.
Moi mon truc c’est d’écrire que je suis pas d’accord, que ça me dégoûte... si ça me fait du bien à moi, j’ose espérer que ça puisse faire du bien à d’autres... si ça leur fait du mal, je suis malheureux pour eux...mais tant pis.
Enfin, moi je fais juste ce qui me vient, si ça me venait autrement, je leur ferais des chansons rigolotes. Là pour le coup j’ai vraiment pas envie de rire, surtout pas dans les chansons, surtout pas dans ce truc de “création”.



- Quand on a la chance d’avoir un manageur libertaire, et qu’on l’est soi-même, comment arrive-t-on à concilier une certaine idéologie, et le monde du spectacle, avec ses travers ?

Mathias : Avec beaucoup de difficultés...
Et puis c’est vrai aussi que je ne suis pas forcement hyper fier d’être dans la grande distribution, et en même temps, pour l’instant, j’ai pas trouvé d’autre moyen de faire autrement. Peut-être qu’un jour je le ferais.
Pour le premier album, j’avais réussi à faire ça tout seul, à le vendre à prix libre ; là j’ai eu envie de le faire connaître à plus de gens, que ce soit plus tranquille ; j’ai eu envie de pouvoir tourner aussi, et ça, ça ne se fait pas (ou en tout cas plus difficilement), sans un disque qui soit distribué.
Donc là c’est une première tentative, si ça ne me plaît pas, j’arrêterais de le faire dans ce milieu-là.
Pour l’instant, ça se passe plutôt bien, j’ai juste des problèmes avec le fait que je n’ai pas envie de faire de télé.

- En quelques mois, tu as connu un indéniable succès d’estime auprès du public, et collectionné les prix de la part des professionnels.
- comment gères-tu ça (rentres-tu toujours dans tes chaussures magiques ?)
- on t’a connu jouant dans des petits bars de quartier, au milieu de tablées bruyantes... pas de regrets pour ces petits endroits? Peut-on encore espérer te croiser dans ces petits lieux conviviaux, qui ont vu tes premiers pas en solo, comme la péniche El Alamein ?

Mathias : Non, j’espère ne pas enfler des chevilles, mais en général, on s’en rend pas compte soi-même ; je compte sur mes amis pour me le dire si un jour je pète les plombs. J’ose espérer que je ne vais pas partir dans ce travers-là...
Pour le reste, les petits lieux, bien sûr ! Je suis chez un tourneur (Zamora Productions) qui est vachement humain, et avec un manageur (David Bompart), qui est carrément libertaire. Etant ce que je suis, j’ai mis les choses très au clair.
Je n’ai qu’un tourneur, pas de producteur (j’ai eu pourtant pas mal de propositions) ; j’ai tenu à rester indépendant, autoproduit, et c’est pas une chose facile (d’ailleurs heureusement que j’ai eu tout ces prix, parce que ça coûte pas mal de sous de faire ça). Donc, je fais en sorte d’être entouré de gens qui me laisseront faire que ce que je veux.
Si je suis tout seul, si j’ai enregistré mon disque avec plein de contrebasses, si je n’ai pas de réalisateur, c’est vraiment par choix, et je crois que ça va rester comme ça.



- As-tu des envies de cascades musicales à la mode Lantoine-Pierron avec d’autres sur scène ?

Mathias : Non, pas du tout, moi le boeuf, c’est pas mon truc. En général, je trouve que c’est raté, musicalement parlant, à part quand c’est des putains d’instrumentistes, et il y en a trop peu. Donc non.
Après, travailler avec des gens sur des résidences, si on peut avoir le temps de faire un truc qui soit “montrable”, je le ferai avec plaisir.
Mais des “cascades musicales”, où tout le monde se mélange, c’est pas mon truc. Si je suis tout seul c’est pas pour rien non plus.

- La question greluche qui s’intéresse : d’où viennent tes chaussures d’Aladdin ?

Mathias : Elles ont été faites par Jean-Pierre Figlia, un mec qui est allé au Tibet, et s’est inspiré des chaussures tibétaines. Des chaussures d’art, une vraie oeuvre d’art même, aussi bien, si ce n’est mieux qu’une chanson, voire qu’un album.
Je l’ai croisé à Rouillac, pendant le festival des Sarabandes de Bouchot, il avait une petite pièce dans le village. Il a chaussé Nick Cave, Arthur H, Brigitte Fontaine....
Je suis tombé sur ses chaussures par hasard, et j’ai halluciné. Mais elles coûtaient quand même un peu cher, vu qu’il peut faire du sur-mesure...
Je jouais les deux soirs d’après dans le bar du festival, et là j’ai vendu pas mal de disques. Je suis retourné le voir le lendemain avec les pièces de mes ventes et un cd, et j’ai pu me les offrir... et puis en plus on a eu un peu l’étincelle tous les deux ; ça c’est passé comme ça.
Donc le mec, il est pas du tout tibétain, il est d’Avignon, et il a un accent du sud à couper au couteau...



- A-t-on oublié de te poser une question incontournable ?

Mathias : non, non, ça me semble bien là, votre truc ... euh, interview



Site officiel : http://imbertimbert.free.fr/
Myspace : http://www.myspace.com/imbertimbert

Illustrations du cd : Lola Carrère

Photos : Nathalie Diacci et Sonia Sassi